Tout à fait Thierry !

Thierry Roland

CITATIONS – Thierry Roland (1937-2012) fut durant cinquante ans la “voix du football” à la télévision française. Populaire et passionné, il n’en était pas moins chauvin, xénophobe, provocateur… et fier de l’être. Sa légende aujourd’hui se résume à quelques dérapages plus ou moins contrôlés.

Photo : TF1

Thierry Roland est l’homme d’expressions qui sont entrées dans la postérité. Si son acolyte Jean-Michel Larqué faisait dans le comique de répétition avec des réparties telles “Il n’a pas fait le voyage pour rien” ou “Ils ne passeront pas leur vacances ensemble“, Thierry Roland inventait spontanément des expressions dénuées de sens.

“C’est pas Alain Delon”

La plus célèbre demeure celle du joueur “fauché comme un lapin en plein vol“. On notera également, à propos d’adversaires : “Dans le jeu aérien, ils ne sont pas manchots“. On se souvient aussi que certaines défenses, “c’est pas la Sécurité sociale“.  Et une vérité que personne n’a vraiment pensé à vérifier : “Le vent souffle toujours dans le sens des aiguilles d’une montre“.

Lorsque Thierry Roland faisait dans le lyrique, cela donnait à peu près çà : “Il y a du Baudelaire dans ce joueur, on voit qu’il connaît la musique“. On comprend mieux pourquoi le commentateur n’étalait que très rarement sa culture générale.

On lui doit toutefois un bel instant d’étude comparée au cinéma : “Hrubesch, c’est pas Alain Delon…” clama-t-il le 8 juillet 1982, lors de la fameuse demi-finale RFA-France de Séville, en direct sur Antenne 2. Le commentateur n’avait pas trouvé d’autres mots pour expliquer aux téléspectateurs que l’attaquant allemand n’était pas beau, ni vraiment tendre non plus.

“Le Bulgare est truqueur”

Le domaine de Thierry Roland, c’était plutôt l’ethnologie. On ne compte plus ces analyses définitives énoncées en moult occasions : “Le Hollandais est rugueux” ; “L’Irlandais est fougueux” ; “Le Colombien est nonchalant” ; “L’Italien est un bon comédien“. Il faut savoir que l’une des premières du genre, “Le Bulgare est truqueur“, date d’un France-Bulgarie commenté en… 1961 !

D’autres remarques tout aussi pertinentes doivent être relevées : “Il y a toujours un barbu dans l’équipe d’Argentine” et/ou “Il y a toujours un rouquin dans une équipe britannique“. Signalons une jolie variante lors de la Coupe du Monde 1986 : “Il y a toujours un joueur qui s’appelle Kovacs dans l’équipe de Hongrie“.

Thierry Roland

C’est encore pire avec les joueurs asiatiques, qu’il a un mal fou à reconnaitre. “Y a rien qui ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen… Surtout habillé en footballeur… Ils font tous à peu près un mètre soixante-dix un mètre soixante-quinze… Ils sont tous bruns… Sauf le gardien, mais enfin çà, çà aide pas trop…“. (Corée du Sud-France, 26 mai 2002, TF1).

Lors du même match, il révélera une autre facette de son talent. Lorsque son acolyte Jean-Michel Larqué lui fait remarquer que dans l’équipe sud-coréenne, “il y a deux Lee“, il répond aussitôt : “Oui. C’est un… grand appartement“. Oui, le calembour sur le nom de certains joueurs, c’est une corde de plus à son arc. Il ne peut résister à un “Bel amorti de la poitrine de Néné“, et lorsque le joueur néerlandais Philip Cocu entre sur le le terrain, notre commentateur n’hésite pas à le saluer : “Bien le bonjour à Madame.

“Vous êtes un salaud”

Mais les sommets de sa carrière, Thierry Roland les doit au corps arbitral. Non pas les plus grands arbitres du monde, dont il cira toujours les pompes surtout lorsqu’ils étaient français, mais les médiocres, les inexpérimentés, ceux qui ont un jour sans. Finalement, messieurs Foote et Bennaceur ne doivent-ils pas leur célébrité à notre commentateur ?

Le 9 octobre 1976 à Sofia, lors d’un Bulgarie-France en direct sur Antenne 2, Thierry Roland est excédé par l’arbitrage de l’Ecossais Ian Foote. Lorsque celui-ci accorde en toute fin de match un penalty bidon à l’équipe locale, Roland craque sous toutes ses coutures : “Je n’ai vraiment pas peur de le dire, Monsieur Foote, vous êtes un salaud.”. Le penalty sera manqué, mais le commentateur poursuivra avec acharnement : “Quel scandale cet arbitrage, c’est un vrai scandale ! Jamais vu un individu pareil ! Il devrait être en prison, pas sur un terrain de football…“.

J’ai jamais vu un fumier pareil.“. Celle-là, elle s’adresse à l’arbitre roumain Ioan Igna, coupable d’oublier quelques fautes des Brésiliens contre la France le 21 juin 1986 lors du fameux quart de finale France-Brésil. Toujours ethnologue dans l’âme, il ajoutera même : “Les Roumains, c’est les plus faciles à acheter“. Thierry Roland commentait alors pour TF1, mais c’était heureusement Antenne 2 qui diffusait le match en direct. Avec les commentaires du gentil Michel Drucker.

Le 22 juin 1986, l’Argentin Diego Maradona marque un but de la main face à l’Angleterre en quart de finale de la Coupe du Monde. Thierry Roland s’interroge sur les compétences de l’arbitre Mr Bennaceur : “Honnêtement Jean-Michel, ne croyez-vous pas qu’il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour arbitrer un match d’une telle importance ?“. On peut raisonnablement penser que notre voix s’en prenait à l’arbitre moins pour sa nationalité que pour son manque d’expérience. Mais il a quand même fallu des excuses très officielles de la diplomatie française envers un gouvernement tunisien en colère.

“Mourir tranquille”

Pour en revenir à l’ethnologie, mais toujours dans le cadre de la controverse, il y a aussi une répartie fameuse qui a fait tâche, le 31 mai 2002, alors que l’équipe de France affronte le Sénégal en ouverture de la Coupe du Monde. Thierry Roland rappelle, à sa manière, que le français Patrick Vieira est né à Dakar : “Il se bat, Vieira. Contre ses cousins“. Réflexion choquante selon certains. Très maladroite, surtout, à une période où la France était plutôt crispée politiquement après avoir porté l’un de ses candidats les plus effrayants au second tout de l’élection présidentielle.

Aujourd’hui, Thierry Roland n’est plus là pour justifier ses nombreux dérapages. Alors gardons le meilleur, celle du 12 juillet 1998 où l’équipe de France vient de battre le Brésil. Le commentateur est submergé par l’émotion, et sa voix légèrement enrouée : “L’équipe de France est championne du monde ! Vous le croyez, çà ? L’équipe de France est championne du monde ! (…) Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille. Enfin, le plus tard possible, mais on peut. Ah c’est super. Quel pied, ah quel pied ! Oh putain…

Thierry Roland est mort le 16 juin 2012 vers 3 heures du matin. Tranquille. Et le plus tard possible.


NOTA BENE : L’expression “Tout à fait Thierry“, qui sert de titre à cet article, provient de l’émission Les Guignols et d’une réplique redondante de la marionnette représentant Jean-Michel Larqué, le coéquipier de Thierry Roland. Mais puisqu’il faut rendre à César ce qui lui appartient, l’expression “Tout à fait” sous forme de gag récurrent et de manie de commentateurs sportifs a été inventé par Les Inconnus.

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