LIVRE – “Le dernier penalty” de Gigi Riva (Seuil, 2016) est l’histoire d’une talentueuse équipe de Yougoslavie, celle de 1990, désagrégée par les vents mauvais de l’Histoire.
Lorsqu’il voit le gardien Goicoechea repousser son tir le 30 juin 1990, Faruk Hadžibegić comprend que son équipe est éliminée de la Coupe du Monde. Mais il ne prend sans doute pas conscience de l’impact que représentera son échec aux yeux de ses compatriotes. Ce tir manqué en quart de finale du Mondiale 1990, opposant la Yougoslavie à l’Argentine, marque la fin d’une histoire, celle d’une équipe nationale prometteuse, composée de Serbes, de Croates et de Bosniaques. Le dernier symbole d’union d’un pays au bord du chaos.
Unité yougoslave
Depuis la mort du Maréchal Tito, la Yougoslavie, fédération composée de six états et deux régions autonomes, voit apparaître de nombreux craquements dans sa belle unité. Les tribunes des stades renvoient l’écho des revendications du peuple. Quelques semaines avant le Mondiale Italien, un funeste 13 mai 1990, la finale de la Coupe de Yougoslavie, opposant les Serbes de l’Etoile Rouge aux Croates du Dynamo Zagreb, s’est transformé en un champ de bataille entre supporters des deux camps. Zvonimir Boban, capitaine du Dynamo, s’en prendra à un policier. Il sera suspendu six mois et privé de Coupe du Monde. On dit souvent, à tort, que la guerre de Yougoslavie a commencé ce jour là au stade Maksimir de Zagreb.
En Italie, la sélection d’Ivica Osim franchit le premier tour en dépit d’une lourde défaite initiale (1-4) contre la RFA, future championne du monde. En huitième de finale, elle réalise un match d’anthologie pour éliminer l’Espagne (2-1) grâce à deux buts de sa vedette Dragan Stojković. Puis c’est le quart de finale contre l’Argentine de Diego Maradona, que les coéquipiers de Safet Susić dominent sans parvenir à marquer le moindre but. Et c’est avec regret que l’on voit cette belle équipe s’incliner aux tirs au but.
Le onze yougoslave était sans doute l’une des plus belles sélections de l’histoire du pays. D’autant plus belle qu’elle était composée d’une multitude de nationalités : les Bosniaques Hadžibegić et Susić, les Monténégrins Savicević et Brnović, les Croates Jozić et Vulić, les Serbes Stojković et Spasić, le Slovène Katanec, le Macédonien Pancev, et aussi Vujović et Prosinecki qui portent plusieurs nationalités et se déclarent tout simplement Yougoslaves. Tant que ces joueurs brillants poursuivait leur route dans ce Mondiale 1990, les espoirs de paix subsistaient au pays. Mais l’élimination ramena le peuple à ses réalités, à ses combats, à ses haines.
Serbes, Croates, Bosniaques, Monténégrins, Slovènes…
Le journaliste italien Gigi Riva (qui n’a aucun lien avec son homonyme, grand footballeur italien des années 1970) a choisi de raconter l’histoire à travers Faruk Hadžibegić, l’homme qui porte le poids du tir au but raté à Florence. L’ouvrage est édité dans la collection Fiction & Cie, mais le contenu n’a malheureusement rien d’une fiction.
En Yougoslavie, foot et politique sont étroitement liés. Un an après le Mondiale italien, l’Etoile Rouge de Belgrade et ses joueurs de différentes nationalités sont sacrés champions d’Europe à Bari. Un mois plus tard, la Slovénie et la Croatie déclarent leur indépendance. C’est la guerre. En dépit des événements, l’équipe yougoslave réalise un superbe parcours dans les éliminatoires de l’Euro 1992. Mais arrivés en Suède, les joueurs apprendront quelques jours avant le tournoi qu’une résolution de l’ONU leur interdit de disputer l’épreuve.
Faruk Hadžibegić, formé au FK Sarajevo, a principalement fait carrière en France, au FC Sochaux où il est resté sept ans. Devenu entraîneur, après avoir brièvement été sélectionneur de la sélection de Bosnie Herzégovine, il a dirigé de nombreux clubs turcs et français. Quand il rentre au pays, ses compatriotes reconnaissent Faruk Hadžibegić et sont fiers de parler du passé avec le champion. Mais tôt ou tard, ils lui expriment invariablement le même regret : “Ah ! Si seulement tu n’avais pas raté ce pénalty…“
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