Pure football

Ian Broudie (Lightning Seeds)

CHANSON – “Three Lions (Football’s coming home)” composée en 1996 par Ian Broudie, interprétée avec Frank Skinner et David Baddiel, reprise dans les stades à l’unisson, remixée maintes fois depuis, serait-elle la plus belle chanson jamais écrite à la gloire du foot ?

Ian Broudie est un grand nom de la pop anglaise. Musicien émérite, chanteur acceptable, il est avant tout un ingénieur du son réputé, qui s’est fait un nom aux cotés de Echo and The Bunnymen, dont il arrange les albums “Crocodiles” (1980) et “Porcupine” (1983). Il a également travaillé avec Wall Of Voodoo, The Pale Fountains, The Fall et Noir Désir (“Veuillez rendre l’âme” en 1988), parmi les plus connus. Un palmarès qui confirme un goût certain.

It’s coming home

Lorsqu’il enregistre ses propres disques, Ian Broudie prend le nom de The Lightning Seeds, un groupe qui n’est en fait composé que de lui-même. En 1990, il enchante les playlists avec un morceau pop imparable, le bien nommé “Pure“. Une petite ballade toute fraîche ornée d’arrangements qui se posent sur la mélodie comme des oiseaux sur une branche. En fin de morceau, un petit gimmick de guitare vient rappeler, étrangement, celui de “Love Vigilantes” de New Order.

Un morceau pop imparable, c’est un peu ce qu’on demande de nouveau à Ian Broudie en 1996. Cette année-là, l’Angleterre organise le Championnat d’Europe de Football. Alors que la Chanson Officielle du tournoi est confiée à Simply Red (“We’re all together“, à oublier), la Fédération Anglaise contacte Broudie pour créer l’Hymne Officiel du National Team Anglais. Dans un premier temps, Broudie refuse. Puis il se laisse convaincre par Frank Skinner et David Baddiel, deux comédiens en vue qui sont associés au projet. Quelques jours plus tard nait “Three Lions“, qui envahira les ondes et grimpera d’entrée aux premières places des charts.

It’s coming home… it’s coming home… it’s coming… football’s coming home…“. Doucement le morceau démarre par un chœur qui fait directement référence au slogan du championnat d’Europe anglais : “Football comes home“.

Au lieu de foncer tête baissée à clamer qu’on va gagner et qu’on est les meilleurs, “Three Lions” a la subtilité de faire d’abord un point de l’état d’esprit d’un supporter de l’équipe d’Angleterre. Pour résumer, la Perfide Albion n’a rien remporté depuis la Coupe du Monde 1966, mais reste toujours persuadée d’avoir la meilleure équipe du monde. Elle masque ainsi sa certitude de remporter le prochain tournoi en dressant un scepticisme de façade. Quelques phrases de commentateurs sont ainsi samplées en début de morceaux illustrent cet état d’esprit : “I think it’s bad news for the English game” (Alan Hansen), “We’re not creative enough, we’re not positive enough” (Trevor Brooking), “We’ll go on getting bad results” (Jimmy Hill)…

Mais au fond de lui, chaque anglais croit à la victoire finale. La mélancolie du début est interrompue par le refrain : “Three Lions on a shirt, Jules Rimet still gleaming. Thirty years of hurt never stopped me dreaming” (“Trois lions sur un maillot, la Coupe Rimet brille toujours. Trente ans de déception ne m’ont jamais empêcher de rêver“). Un peu plus tard dans le morceau, on entend aussi, à propos du triomphe de 1966 : “I know that was then, but it could be again” (“Je sais que c’est du passé, mais ça peut se reproduire à nouveau“).

Le deuxième couplet entretient l’optimisme à coup de flash-backs sur les grands joueurs du passé et les actions qui ont fait leur renommée. Une des particularités du supporter anglais est en effet de bien connaître l’histoire de son équipe préférée :”But I still see that tackle by Moore” (un tacle de Bobby Moore), “And when Lineker scored” (l’un des dix buts qu’inscrivit Gary Lineker en Coupe du Monde), “Bobby belting the ball” (un tir lointain et victorieux de Bobby Charlton), “And Nobby dancing” (la danse hallucinée de Nobby Stiles après la victoire de 1966).

En fin de morceau, les commentaires samplés rappellent les meilleurs moments de l’histoire du foot anglais : “England have done it in the last minute of extra time !” (John Motson, Angleterre-Belgique 1990), “What a save ! Gordon Banks !” (David Coleman, Angleterre-Brésil 1970), “Good old England, England that couldn’t play football.“, “England have got it in the bag” (Angleterre-RFA 1966).

Si l’Angleterre ne parvient pas à remporter son Euro’96, la chanson qui l’accompagne touche au but. Les choeurs “It’s coming home” s’installent dans les tribunes et deviennent une terrace song, un chant de supporters. La chanson s’exporte également très bien. Lorsque les joueurs de l’équipe d’Allemagne, qui ont remporté l’Euro’96, font la fête à leur retour au pays, ils clament “It’s coming homeIt’s coming home…”.

We still believe

En 1998, pour la Coupe du Monde en France, une nouvelle version de “Three Lions” voit le jour, avec quelques modifications dans les paroles. Le morceau ne fait plus référence à trente années de frustration, mais fait une fixation sur la dernière déception en date, la demi-finale de l’Euro’96 perdue aux tirs au but face à l’Allemagne. On entend le commentateur s’égosiller devant le tir manqué de Gareth Southgate, alors que les premières paroles seront “Tears for heroes dressed in grey…” (les Anglais jouaient en gris dans cette fameuse demi-finale…). Mais entre-temps, “We still believe” précède “It’s coming home“. La foi du supporter est toujours intacte.

La chanson évoque aussi une soirée à Rome, et un fameux Italie-Angleterre où les hommes de Glenn Hoddle sont allés chercher un héroïque 0-0 qui les a qualifié pour la France. Elle vante le fighting spirit de Paul Ince (“And now I see Ince ready for war“), le talent partiellement retrouvé de Paul Gascoigne (“Gazza good as before“), l’implacable efficacité d’Alan Shearer (“Shearer certain to score“) et la joie presqu’effrayante de Stuart “Psycho” Pearce (“And Psycho screaming“) après son tir au but réussi en quart de finale de l’Euro face à l’Espagne. Nobby Stiles et sa fameuse danse de 1966 restent présents dans les lyrics, même si c’est formulé autrement : “We can dance Nobby’s dance, we can dance it in France.

Pour en revenir au “ready for war” de Paul Ince, Frank Skinner a révélé que dès la version originale du morceau, il était prévu de placer “Butcher ready for war“, en référence à Terry Butcher le bien nommé qui en 1987 termina un Angleterre-Suède le visage et le maillot couverts de sang. La FA, en pleine lutte contre les hooligans, avait préféré exclure cette référence au combat. C’est finalement Paul Ince qui en hérite dans la version 1998, en référence au Italie-Angleterre de 1997, tout aussi hémoglobineux. Et si la FA n’a rien dit pour ce dernier, c’est tout simplement parce qu’on ne lui a pas demandé son avis. En effet, la version 1998 de “Three Lions” n’est pas considérée comme la chanson officielle du onze d’Angleterre.

Le morceau, de quelque version qu’il soit, est aujourd’hui la chanson officieuse du onze d’Angleterre. Il a éclipsé “World in Motion“, le tube de 1990 qu’avait écrit New Order. Décidément…

Les clips de “Three Lions” et “Three Lions’98” sont dans l’esprit du morceau : une foi inébranlable malgré des déceptions en série. Le clip original diffuse quelques rapides images d’archives qui ont le mérite d’expliquer clairement ce à quoi les paroles font référence. Ainsi le tacle de Bobby Moore serait celui qu’il réalisa sur Jairzinho lors de Angleterre-Brésil 1970, la frappe de Bobby Charlton est celle de 1966 contre le Mexique, et le but de Lineker celui contre l’Allemagne, en 1990. Des gestes fameux que les joueurs de l’équipe d’Angleterre de 1996, viennent reproduire en fin de clip aux cotés des trois chanteurs.

Autre clin d’œil amusant : on voit dans un pub un homme bousculer nos trois compères pour récupérer sa bière. Ces derniers mettent un temps fou avant de s’apercevoir qu’il s’agit de Geoff Hurst, authentique héros de 1966, auteur notamment de trois buts en finale.

Dans le clip de 1998, nos héros ont pris, sitôt perdue la demi-finale de l’Euro’96, le car qui les emmène en France. Le clip diffuse des images du championnat d’Europe perdu et du match de Rome. Au milieu du clip, à l’entrée du stade, apparait un groupe de supporters allemands. Ceux-ci sont caricaturés à l’extrême et sont tous nommés Kuntz (clin d’œil à un sketch de Baddiel). S’en suit en match de foot endiablé dans lequel on revoit Geoff Hurst, fâché de voir un ballon rebondir sur la carrosserie de sa voiture. Et on aperçoit également… le chanteur Robbie Williams. Mais que fait-il ici, celui-là ?

A propos de Ian Broudie, de Frank Skinner, de David Baddiel et de l’Euro 1996

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